Cet entretien fait partie d’une nouvelle série dédiée aux dirigeant-e-s d’entreprises en Bretagne. Le but ? Découvrir ce qui fait la richesse et l’innovation du business breton.
Merci à Sophie Deniel, fondatrice de bookBeo, d’avoir pris le temps de discuter avec moi de son beau parcours dans le monde des QR et de la réalité virtuelle et augmentée.
A propos de bookBeo : c’est une ingénierie de réalité augmentée et d’intelligence artificielle. BookBeo vous accompagne dans votre stratégie digitale et offre des solutions d’applications web et mobile, des robots conversationnels, des algorithmes de reconnaissance du réel, et bien plus encore.
Claire Trévien : On va peut-être commencer par le début : qu’est-ce qui vous a amenée a créer bookBeo ?
Sophie Deniel : BookBeo est né un peu de l’observation de mes enfants. Donc c’est vraiment né dans un jardin ! Je raconte souvent mon histoire, parce que j’étais avec mes enfants, on s’ennuyait un petit peu et je leur ai apporté des bouquins. Et je me suis dit : c’est trop dommage que les bouquins ne s’animent pas de continus vivants, parce que ça leur permettrait d’appréhender des concepts. Et en plus le bouquin pourrait grandir avec eux, en donnant des contenus évolutifs dans le fil du temps, tout en restant une base pédagogique hyper-intéressante. Donc l’idée elle est née de là.
Et j’ai commencé à faire un petit peu de recherche sur Internet : à voir si ça existait, des livres interactifs et tout ça, et en fait il n’y avait pas vraiment grand chose.
J’ai fait une formation – alors à l’époque dans le Finistère, il y a eu un programme « EQUAL » qui était un programme de développement personnel dédié aux femmes pour créer des entreprises. Ils se sont rendu compte que le Finistère était une région d’Europe où il y avait le moins d’entrepreneuriat féminin en pourcentage. Alors que pourtant – si vous êtes d’origine bretonne – la Bretagne a toujours eu des femmes qui travaillent, mais par contre elles n’avaient pas de statut : c’était des femmes agricultrices, des femmes de commerçants, mais sans statut, quoi. Donc ça c’est un milieu historique particulier qui a fait qu’ils ont lancé un programme « EQUAL » de développement personnel.
Et moi j’y suis allée, un peu avec mon idée de comment rendre les livres vivants. Donc c’était déjà une idée de réalité augmentée, finalement, c’était un peu le concept. Et ça c’était en 2005. J’arrivais avec cette idée-là, et à la sortie du développement personnel j’étais convaincue que ça pouvait devenir une idée d’entreprise.
Et ensuite, j’ai fait appel – je vous passe les détails – mais j’ai fait appel à Télécom Bretagne qui était sur le territoire de Brest. Ils m’ont affecté un groupe d’étudiants pour travailler sur le premier livre communiquant. On a créé un livre dans lequel on avait ajouté une carte électronique avec des boutons, une liaison wifi, et en fait dès qu’on voyait une caméra dans le bouquin – on appuyait sur le bouton et ça lançait une séquence vidéo sur un écran d’ordinateur, de mobile ou de télé. A l’époque, il n’y avait pas trop de mobile.
Et les étudiants ont eu le premier prix du projet étudiant face à des projets Renault et des caméras embarquées et des trucs comme ça.
Le principe pédagogique du système a été, un petit peu, plébiscité et donc après j’ai essayé de chercher une technologie qui pouvait faire le job pour moins cher.
J’ai découvert le QR Code en janvier 2008 et à partir de ce moment-là on m’a présenté des gens qui commençaient à développer des applications sur iPhone. L’iPhone débarquait en janvier 2008 et en octobre 2008 j’ai créé l’entreprise parce que j’avais réussi, avec des partenaires comme Télécom Bretagne, à développer la première application de décodage de QR Code en France.
J’ai présenté le projet au Quartz dans le cadre d’un Carrefour des Possibles et là dans la salle, il y avait les Bières Britt qui lançaient une nouvelle bière qui s’appelait « La Celtika » et qui m’ont dit « Je veux ton truc-là, je veux le QR Code sur mon packaging pour lancer ma nouvelle bière ». Et donc ça a été le début de l’histoire de bookBeo, voilà. Donc c’est né comme ça.
C'est vraiment la réalité augmentée poussée vers la réalité virtuelle : en entretien avec Sophie Deniel de @bookBeo Cliquez pour tweeterLe point crucial ça a été en début de 2014. Parce que fin 2013 on avait vraiment fonctionné que sur le QR Code et sur des plateformes de management de contenus qu’on pouvait faire sur mesure. Et en 2014, on a bifurqué, on a fait beaucoup d’applis BtoB et on a développé notre expertise sur tout ce qui est algorithmes reconnaissance d’image, reconnaissance du réel, développement des contenus 3D. Et on a poussé nos solutions aussi non seulement sur des mobiles et des tablettes mais aussi sur les lunettes. Donc, on a travaillé sur différentes lunettes et aujourd’hui on développe des choses aussi sur évidemment des casques de réalité virtuelle : des espèces d’outils 360° pour augmenter la réalité virtuelle, voilà quoi.
Du coup, il y a tout un tas de possibles dans différents domaines d’activité. Et on va de plus en plus sur tout ce qui est formation par exemple, où vous scannez une machine et puis vous avez les différents plans de montage avec des contenus 3D qui s’ouvrent, des interactions avec votre environnement ; donc c’est vraiment la réalité augmentée poussée vers la réalité virtuelle. On sait développer un ensemble de solutions selon les cas des clients.
Mais par contre, avec toujours ce truc de … parce que souvent ce que je dis c’est que la partie visible de l’iceberg, c’est ça : c’est les casques, c’est un peu l’effet « haut ». Mais la partie invisible de l’iceberg, c’est toutes les plateformes de données, c’est toute l’intelligence qu’on peut donner à certaines données, des applis qu’on fait pour servir différentes applis, différents matériels. Donc c’est un peu que notre savoir-faire il est là en fait, mais il n’est pas très visible, il n’est pas très évident à montrer en marketing. Voilà, on ne s’ennuie pas !
Par contre, on a des vraies compétences dans ce domaine-là et c’est vrai que justement on se pose la question sur le plan commercial : de comment bien rendre cette puissance de frappe, parce qu’en un mois on vous fait une plate-forme sur mesure – et pour des éditeurs comme pour des industriels qui sont dans des univers fermés.
CT : Pour en revenir à 2014 : est-ce que ça a été dur de faire ce genre de pivotement ?
SD : C’est toujours compliqué un pivot, parce que déjà il y a une chute de chiffre d’affaire sur cette année-là. On a collaboré avec le laboratoire IMT SudParis, parce que, évidement, nous on est une petite équipe ; on n’avait pas les moyens d’embaucher des chercheurs sur ces technologies-là. Donc il a fallu investir en recherche et développement. Évidement on a passé plus de temps sur la R&D et évidement on a eu moins de clients, moins de chiffre d’affaire. Mais ça nous a aidé parce que du coup on est indépendant aujourd’hui des fournisseurs de technologie ; on est indépendant d’un client ou d’un mono-client. Alors, certes on est petit, certes on ne fait pas encore beaucoup de chiffres, mais il y a des vrais possibilités, grâce à ce pivot, finalement. Effectivement, grâce à un emprunt, grâce à du crédit impôt recherche, on a réussi à tenir le coup sur 2014, et donc on a reprogressé en 2015-2016-2017.
CT : C’est important de prendre des risques comme ça parfois.
SD : Voilà, c’est ça. Et d’ailleurs en 2018, on a de nouveau pris un risque. On a fini un projet européen sur les lunettes connectées, dans le domaine de la e-santé, où c’est un assistant virtuel sur lunettes et sur tablette qui permet d’accompagner la kiné respiration d’un patient qui sort de l’hôpital. Donc, le patient, il met un capteur sur son cœur et il chausse ses lunettes et il a un petit avatar dans sa lunette et il fait ses exercices – il a un exercice personnalisé par rapport à son choc opératoire – et il a son retour : il a son rythme cardiaque, son taux d’oxygénation en temps réel. Et en plus le médecin peut aussi avoir des informations sur son exercice et le corriger. Donc, ça évite des coûts d’hôpitaux, etc. En 2018, on a beaucoup bossé là-dessus, et on a aussi cherché des lunettes adaptées, et là forcément encore on a un trou de chiffre d’affaire.
Et on s’est dit : « l’avenir, c’est l’export », en 2018 il faut qu’on investisse sur la partie export. Et on a décidé de cibler d’autres pays. Et en plus historiquement, on est allé au Japon dès le début, donc on s’est aussi dit : on refait l’effort vis-à-vis du Japon. On a besoin de pousser la visibilité, de pousser les partenariats d’affaires, de travailler avec beaucoup de gens qui peuvent nous aider à vendre nos solutions, quoi.
CT : Donc en retournant un petit peu au début, est-ce qu’il y a des choses que vous auriez fait un peu différemment si vous pouviez y retourner magiquement ?
SD : Je ne sais pas, par ce que ça se construit en fait. C’est comme un agrégat, petit à petit. Moi, n’étant pas développeuse moi-même – parce que j’ai fait le CELSA donc, c’est une école de marketing – je n’avais pas la partie technique en propre. Donc du coup, j’étais obligée de m’entourer dès le départ pour finalement sortir ce livre vivant en réalité, il fallait que je m’entoure d’une équipe technique. Et le projet m’a dépassé, en fait. C’est-à-dire que pour exister, il fallait que je déploie une entreprise, que j’embauche des gens, que j’aille chercher du chiffre d’affaire, que je déploie du secteur. Ça s’est fait petit à petit ; je me bats ; j’étais sans arrêt un peu en dépassement. Il fallait à chaque fois que j’aille plus loin. Et donc les choses se sont faites un peu comme ça, j’ai démarré avec 25 mille euros de capital, alors qu’à ce moment-là il y avait MobileTag ou Flashcode qui levaient des fonds de 11 millions d’euros, et qui aujourd’hui ont disparu. Je ne suis pas restée figée, tandis que si Flashcode ou MobileTag se sont arrêtés, c’est parce qu’ils ont fait une grosse levée de fonds sur une application de QR code, et une fois qu’ils l’ont imposée, ils ont vendu de la pub dans l’appli. Donc ça a tué l’usage du QR Code, parce que forcément vous scannez un QR Code – par exemple sur un panneau touristique pour voir une église – vous ne voulez pas voir une pub pour Samsung. Les gens ont arrêté d’utiliser les QR Codes parce qu’il y avait la pub dans l’appli la plus téléchargée. Tandis que nous avec nos petits moyens, notre concept de départ c’était la réalité augmentée, et on est resté là-dessus. On a juste changé la technologie.
Les gens ont arrêté d’utiliser les QR Codes parce qu’il y avait la pub dans l’appli la plus téléchargée Cliquez pour tweeterJ’ai eu la chance de faire le bon choix parce que en 2008, on a des copains anglais ici et ils m’avaient dit : « il faut que tu développes sur le BlackBerry ». Et c’est ce seul bon choix chanceux que j’ai fait, c’est que moi j’ai vu l’iPhone arriver et je me suis dit ça c’est le truc, et BlackBerry je n’y suis pas du tout allée et c’est vrai que ça c’était le bon choix parce qu’ils ont aussi un peu disparu. Donc voilà mais c’est un hasard ; il y a pleins de choses … C’est un concours de circonstances qui fait qu’on y arrive ou pas, et voilà j’espère que ça va pouvoir continuer comme ça.
Maintenant, c’est les dix prochaines années, mais là le marché n’est pas encore vraiment mûr. La réalité augmentée, on en parle beaucoup, mais au niveau des usages, il n’y en a pas encore beaucoup… Les marques n’utilisent pas d’applications pour leur propre marketing, pour vendre leurs produits. Quelques Australiens commencent à vendre des vins avec des applications de reconnaissance d’étiquette, mais ce sont des Australiens. C’est encore très émergent tout ça.
Et donc par contre les technologies elles arrivent de plus en plus. Donc, nous il faut vraiment qu’on montre qu’on est là, qu’on sait faire des services clés en mains, qu’on est capable d’accompagner des clients sur des usages, sur des améliorations de contrôle qualité, sur de l’information, sur de la maintenance, sur la stratégie de marque, enfin il y a pleins de possibles. C’est vrai que je pense que la clé est dans les conglomérats de startups ; même si on peut trouver un partenaire en Angleterre par exemple et bosser sur un marché, c’est un peu plus ça que je cherche aujourd’hui : c’est trouver des partenaires avec qui on peut co-vendre, s’associer pour un projet, se dissocier pour d’autres activités, selon les compétences de chacun. Et ces collaborations un peu – qu’on a commencé dans le projet européen d’ailleurs – je pense que c’est un peu la clé là de l’avenir et ça ce n’est pas évident parce qu’il y a un problème de confiance entre les boîtes, les rapports capitalistiques, c’est loin monté. Il y a encore plein, plein de freins, en tout cas en France, parce que je crois qu’en Angleterre ils sont beaucoup plus à l’aise que nous là-dessous.
CT : Est-ce qu’il y a un projet récent dont vous êtes particulièrement fière – je sais que vous en avez parlé de quelques-uns là – mais est-ce qu’il y a quelque chose d’assez récent dont vous pouvez parler ?
SD : Je pense qu’effectivement ça va être ce projet qu’on a fait pour l’industrie du futur parce que justement on a travaillé avec des algorithmes et beaucoup de choses open-source mais on a travaillé sur un processus de reconnaissance d’une pièce particulière du client qui était assez complexe, assez petite, une pièce métallique avec des éléments brillants où finalement l’algorithme sur étagère il ne marchera jamais.
Et donc on a fait tout un process de paramétrage de la solution en usine : pour placer la pièce devant un fond pour paramétrer différents éclairages ; pour amener du machine-learning et pour mettre un gabarit virtuel, voilà tout un process qui fait que, là maintenant, l’opérateur il pose sa pièce devant l’iPad et pouf elle est reconnue. Et les sept points contrôles sont affichés sur la pièce avec du tracking.
Et on en est d’autant plus fière que le client, qui est un gros client à l’international, pendant six mois – ils nous ont choisi en 2017, en juillet 2017 – mais pendant six mois ils ont cherché une solution sur étagère, aux États-Unis, partout, en Suède, en Allemagne ; ils ont cherché à faire ce qu’on leur avait proposé – donc de reconnaitre les défauts de la pièce en instantanée – et pour que ce ne soit pas cher du tout ; et ils n’ont pas trouvé. Et donc en juillet 2017 ils ont signé avec nous. Et en fait on a développé sur toute l’année 2018 et là ça y est ça sort en condition d’usine. On se dit que c’est pas mal.
Alors maintenant la difficulté, c’est que déjà c’est très long, c’est très très long, parce que finalement le budget pour tout ça, ça leur a couté 35 mille euros à notre client, donc ce n’est pas grand chose, ça ne nous fait pas vivre. Mais par contre maintenant, c’est l’idée de pouvoir dupliquer ce type de processus, parce que ça peut s’adapter à tout un tas de cas d’usage, tout un tas d’industries. Parce que ce qu’on a fait pour une pièce, on peut le faire pour un colis, pour une carte électronique, pour tout un tas d’autre choses, quoi. Pour des grosses, pour ces petites, voilà.
Et donc voilà, je pense que ça c’est le dernier truc sur lequel on est vraiment contents du résultat.
CT : J’imagine qu’avec certaines entreprises il y a peut-être un travail d’éducation quand même sur ce que vous faites – est-ce qu’il y a une idée fausse en particulier que les gens ont souvent sur ce que vous proposez, ce que vous créez ?
SD : Souvent on dit : « on ne comprend pas ce que tu fais. » Donc un peu la complexité de nos solutions, parce que c’est trop transversal, c’est-à-dire qu’on attaque on fait un peu de tout. Le numérique évidement rentre dans tous les domaines. Et comme on va à l’opportunité, on fait plein de choses différentes.
Et surtout ce qui a été plutôt préjudiciable, c’est peut-être une vision du livre uniquement ou du livre vivant qu’on a. Forcément ça fait partie de l’ADN de l’entreprise, je suis partie de là.
Et du fait que je sois une femme. Par exemple, pour ne pas le citer, un gros client nous avait mis en concurrence sur un appel d’offre. On a parfaitement répondu au cahier des charges et ensuite ils ont choisi quelqu’un qui venait du monde de l’industrie, qui avait vendu des planches à découper, en pensant qu’il était plus à même de vendre une solution numérique parce qu’il savait vendre des planches à découper. Il venait du monde de l’industrie donc il savait sans doute mieux leur parler. Et moi, ne venant pas du monde de l’industrie, et étant une femme, je n’avais pas cette crédibilité-là. Donc ça c’est quand même un petit truc récurrent que je trouve un peu préjudiciable et c’est un peu dommage.
Et c’est vrai que dans le monde des nouvelles technologies, c’est un monde extrêmement masculin, plutôt jeune, et je n’ai pas le profil. Il faut se battre aussi là-dessus pour arrêter les préjugés.
dans le monde des nouvelles technologies, c’est un monde extrêmement masculin, plutôt jeune, et je n’ai pas le profil. Il faut se battre aussi là-dessus pour arrêter les préjugés. Cliquez pour tweeterCT : C’est pour ça que c’est important que vous fassiez ce que vous faites, vous donnez de la visibilité. Alors, un peu en relation, qui vous a inspirés durant votre parcours ?
SD : Dans mon parcours, il y a pleins de gens. Parce que j’ai fêté les dix ans là en décembre 2018, et c’est vrai que j’avais invité un peu tous les gens qui m’ont entouré et je les ai fait intervenir en fait pour partager. Parce que je n’ai un peu écouté que les gens qui m’ont dit : « vas-y fonce ! ». De ma meilleure amie qui était avec moi dans le jardin quand on regardait les enfants, qui m’a dit : « C’est une super idée, il faut vraiment que ça existe ! ». Jusqu’aux personnes qui m’ont accompagnée à Télécom Bretagne et qui ont été les premiers à m’applaudir et à me dire : « Oui, on vous met des étudiants. ». Jusqu’aux gens qui m’ont accompagnée sur ma première levée de fonds en 2012 ; même si c’est une petite levée de fonds, ils sont toujours là et ils sont toujours présents.
Et puis là très récemment sur un accompagnement bancaire pour l’export, par exemple, où ils sont à fond dans la stratégie de bookBeo. Ce n’est pas du tout habituel pour eux parce qu’ils accompagnent que ces boîtes qui font plus que 2 millions de chiffre d’affaires. Et par ma stratégie export, ils m’accompagnent alors que je fais 300 mille, et ils sont super contents parce que ça les change complètement, c’est un univers totalement innovant avec des stratégies différentes.
CT : Vous en avez un petit peu parlé que c’est quand même un monde qui bouge beaucoup dans lequel vous êtes donc c’est un peu dur de prédire le futur et tout ça, mais si vous avez des prédictions un peu sur le futur de la réalité augmentée, l’intelligence artificielle, etc. : c’est quoi vos prédictions clés, on va dire ?
SD : C’est rigolo, parce qu’en 2008 on était persuadé que ce qui allait exploser c’était les pico-projecteurs. On imaginait des micro-projecteurs qu’on allait mettre dans les bijoux et qui allaient projeter des images virtuelles un peu partout, sur notre main ou sur les tables, et en fait ce n’est pas du tout arrivé. Donc ce n’est vraiment pas du tout évident au niveau des matériels.
Je suis persuadée que la réalité augmentée, c’est quand même le web de demain : c’est que vous faites un claquement de doigt et vous avez l’information dont vous avez besoin au bon moment ; que soit pour acheter quelque chose, ou pour comprendre l’environnement dans lequel on se trouve, ou même pour travailler à distance avec quelqu’un. Ça je pense que plus ça va aller, plus les technos vont nous libérer des contraintes matérielles. Ça va être dans une espèce de Minority Report, quoi. C’est ça, on est un peu dans cette prospective-là, je pense.
CT : Oui, on dira : « Est ce qu’il me reste encore du lait ? » et l’appartement répondra : « Oui » !
SD : Si vous ouvrez le frigo, vous avez un petit scan, ou vous chaussez vos lunettes, vous avez un scan du frigo et voilà : ça vous dit instantanément. Ça commande instantanément pour vous le truc qui manque, quoi. Vous êtes livré le lendemain. C’est des trucs comme ça.
C’est que tous les objets peuvent se connecter, quoi. Le smartphone prend les informations de la maison. On se pose dans la voiture et il nous transfère la voiture. La voiture croise un producteur bio, ben il vous signale que vous avez vos tomates à acheter là. C’est des trucs comme ça. C’est ça, c’est l’intelligence artificielle qui nous suit.
Mais je pense qu’il y a aussi un coté où les gens sont en train d’avoir peur de cette connexion totale et se disent « droit à la déconnection » et tout ça. Et je trouve que les jeunes justement sont vraiment dans une espèce de liberté totale : tout connecté ou rien, et ils maitrisent vraiment d’avantage que nous les … même tous les réseaux sociaux. Et puis il y a des bascules à : « Non, on n’est plus du tout sur des réseaux sociaux et c’est dangereux et on ne veut pas tout dire. » Et il y a une bien meilleure maitrise de tout ça par les plus jeunes.
CT : Je pense que c’est un peu normal avec ce genre de choses-là. Même juste en pensant aux livres numériques et tout ça, ça fait que les livres papiers ont vraiment eu un nouvel essor un peu en réaction parce qu’on apprécie de plus en plus.
SD : Les livres numériques, les Kindle et tout ça, moi je les ai suivis et je n’ai jamais adhéré, quoi ; je lis toujours beaucoup sur le livre papier. Mais en revanche, j’ai toujours cru au côté livre enrichi. Je suis allée à une conférence à Lille il y a 2 ans sur les sciences connectives, et il y avait des chercheurs qui avaient fait toute une étude sur l’impact de la lecture sur le cerveau – comment on lit un livre, comment on lit un écran – et ils disaient que quand on lit sur du papier – du texte ou des images – le cerveau est au repos. En fait, le cerveau a le temps : le temps d’appréhender le texte, et voilà. Mais par contre quand on lit un écran le cerveau il est zappeur quoi, il va très vite.
Et donc le mix de deux, c’est génial parce que c’est l’idéal pour appréhender les connaissances de notre monde. Et ça du coup, comme vous disiez, ça remet en fait l’objet réel dans une nécessité en fait de continuer à exister. Ce n’est pas que l’écran, finalement.
CT : Ça donne une nouvelle appréciation pour les choses qui sont réelles aussi d’avoir ça. Je crois que c’est un peu le principe de votre appli pour visiter la Bretagne ?
SD : BreizhTour, oui on a développé ça. Alors là, c’est un principe de géolocalisation : c’est-à-dire que vous reconnaissez l’endroit où vous êtes et s’il y a un contenu en réalité augmentée dans les 100 mètres où vous vous trouvez, ça lance automatiquement sur votre téléphone – soit un audio-guide, ou un objet 3D, . … Donc, ça peut être utile, quand l’église est fermée : hop ça vous raconte l’histoire de l’église. Voilà ça, ça fonctionne avec les capteurs de la localisation.
CT : Je l’ai installée sur mon téléphone et je vais essayer ça à Saint Marine la prochaine fois que j’y suis.
SD : BreizhTour, c’est vrai qu’on l’a sortie en 2014. Et c’est une appli un peu grand public mais que l’on maintient tout seul. Et en fait on veut vraiment que la région Bretagne se l’approprie pour justement la développer plus, parce qu’on aimerait mettre de la réalité virtuelle dedans : des vidéos mais en fait ça … enfin on a du mal à le pousser. Mais il faudrait 150 commerciaux qui tournent partout dans les différentes collectivités pour expliquer l’application, pour dire : « Il y a une plate-forme : mettez vos contenus, ça va tout de suite à l’appli ». Mais malheureusement on a beaucoup de mal à la pousser, il faut vraiment que la région de Bretagne nous aide là-dessus. Donc là je reprends les contacts justement avec les élus au tourisme pour que l’on puisse pousser l’appli, parce qu’elle mériterait vraiment d’aller beaucoup plus loin.
CT : Oui ça serait sympa d’avoir ça pour tous les visiteurs et les gens qui vivent ici d’ailleurs aussi.
SD : On a fait aussi BreizhChic, dans la même idée. Là, c’était pour essayer virtuellement des costumes bretons. Elle est téléchargeable. Donc il y a des vitrines, et c’est la même chose : c’est que c’est encore trop en avant sur les usages ou en tout cas … Par exemple, j’avais contacté une fille qui faisait des chapeaux ou des créations de chapeau, et je lui ai dit : « ça te fait une vitrine virtuelle et donc du coup tout le monde a l’international peut essayer ton chapeau ». Et évidement on se prend en photo avec son chapeau, on diffuse ça sur les réseaux sociaux ou on envoie par email etc. Et elle, elle avait peur que l’image de ses chapeaux lui échappe en fait, que sa politique de revente, qu’on fasse des grimaces en portant son chapeau, …
CT : Les gens vont faire ça même s’ils n’ont pas cette appli-là. On ne peut pas contrôler ce qui se passe avec ses vêtements une fois qu’ils sont achetés.
SD : Voilà et ça c’est tout le problème de la peur de la diffusion numérique, et c’est ça en fait une vitrine virtuelle, ça a aussi des conséquences. Et je lui disais : « mais ça va pousser les ventes ! parce que tu n’as pas les moyens d’avoir ta vitrine réelle et là tu peux tout d’un coup avoir … ». Mais en fait ce n’est pas si évident que ça pour des créateurs.
Et là on a rencontré des freins et c’est vrai que cette appli BreizhChic, c’est pareil, il aurait fallu lever beaucoup de fonds pour pouvoir la pousser.
Mais n’empêche qu’on a la vitrine du musée breton de Quimper, avec tous les costumes bretons du Finistère donc, et avec BreizhTour, on a une visite de la Bretagne super-rigolote.
CT : Alors, ma question finale c’est : qu’est-ce que l’avenir réserve pour bookBeo ? Est-ce qu’il y a des choses en particulier en perspective ?
SD : Là, je reprends l’analyse d’Early Metrix. Là, il y a un potentiel énorme en plus sur les deux secteurs qu’ils avaient analysés, qui étaient l’industrie du futur et le transport connecté. Ça, on sent – ce que je vous ai raconté tout à l’heure avec le process un peu innovant là – qu’il faut absolument que l’on duplique. Il faut le pousser.
La problématique que j’ai pour 2019, c’est les moyens. Donc là je suis en train de chercher des partenariats corporate ou une levée de fonds pour pouvoir vraiment déployer l’entreprise : embaucher plus de personnes et développer l’entreprise. Ça c’est vraiment l’avenir et la nécessité, c’est sur les moyens.
Merci beaucoup Sophie Deniel !
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